Défusion = restructuration cognitive²

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J’ai eu la surprise récemment de voir un article que j’ai co-signé cité par Aaron T. Beck. L’ironie est que article en question n’a rien à voir avec l’ACT (c’était un travail sur une échelle de plaisir dans les troubles schizophréniques). Bien sûr, on se serait demandé pourquoi le père de la thérapie cognitive aurait référencé un article sur ACT, si ce n’est pour critiquer le travail de défusion dans l’ACT. Je fais attention au procès d’intention –je n’en sais rien après tout-, mais il est vrai que la défusion semble aux antipodes de la restructuration cognitive chère à Beck.

C’est entendu : du côté de la restructuration cognitive, on considère les pensées comme potentiellement dysfonctionnelles, on cherche des arguments à leur opposer, on argumente avec elles afin de les remplacer par d’autres ou de les modifier. Du côté de la défusion, on s’intéresse uniquement à la forme des pensées et on ne les discute pas, on ne cherche pas à les remplacer, elles ne sont pas considérées comme dysfonctionnelles, même si elles s’accompagnent d’émotions pénibles. A priori, les deux démarches s’opposent. En apparence du moins…

A y regarder de plus près, notamment en s’intéressant à leur fonction, peut-être que ces deux démarches des TCC apparemment contraires convergent. Notamment, une information concernant le travail de restructuration cognitive doit nous questionner : différentes études ont en effet montré que la diminution des symptômes au cours d’une TCC est relativement rapide et apparaît avant l’introduction d’une intervention cognitive stricto sensu. (Ilardi & Craighead, 1994; Hayes, 2004). Peut-être est-il nécessaire que nous regardions dans le détail quel est l’ingrédient actif de la démarche de restructuration cognitive…

Il se trouve qu’avant l’introduction d’un travail structuré de restructuration cognitive (recherche d’arguments en faveur et défaveur des pensées, recherche de pensées alternatives), les thérapeutes demandent à leurs patients d’être davantage observateurs de ces pensées, de les regarder comme un phénomène objectif, distinct d’eux, comme un objet d’étude en somme. Quand les thérapeutes encouragent leurs patients à noter leurs pensées dès qu’elles apparaissent, ils les conduisent en fait à une position d’observateur et les aident à accéder à une forme de distanciation. Si je peux observer quelque chose, c’est bien que j’en suis distinct ; donc que je ne suis pas mes pensées puisque je peux les observer. Cette phase de préparation à la restructuration cognitive per se pourrait constituer son réel ingrédient actif, et non le débat avec les pensées. En effet, débattre avec ses pensées, c’est encore être aux prises avec elles…

C’est en tout cas le pari de l’ACT qui, au travers de la défusion, tente de systématiser ce mouvement. Dans la défusion, on cherche à se distancier le plus possible des pensées en les observant avec curiosité, comme des événements autonomes, sans chercher à entrer dans le fond de ce qu’elles racontent. Paradoxalement, ne pas argumenter constitue une forme de distanciation ultime. Dans un débat réel, le coup le plus dénigrant qui peut être porté par l’un des contradicteurs consiste à refuser de débattre avec l’autre, signifiant ainsi le peu d’importance de ses arguments, ces derniers ne méritant même pas qu’on y réponde… Dans la défusion, la distanciation est extrême car on ne prend même plus la peine de s’intéresser à ce que racontent certaines pensées ou de discuter avec elles. Elles ont de fait encore moins de prise sur nous. Elles deviennent encore plus négligeables.

En résumé, la démarche de défusion de l’ACT systématise l’ingrédient actif de la restructuration cognitive, à savoir, la distanciation atteinte en observant ses pensées comme un objet extérieur. C’est peut-être encore une question empirique qui mérite d’être confirmée (bien que certains travaux mettent déjà en évidence le peu d’efficacité de la démarche complète de restructuration cognitive, voir Jacobson et al., 1996; Longmore, & Worrell, 2007), mais il semble bien que l’ACT va dans la même direction que la restructuration cognitive. Elle y va simplement plus directement.

Hé ! Aaron, vous venez avec nous ?

Références

Hayes, S. C. (2004). Acceptance and commitment therapy and the new behavior therapies: Mindfulness, acceptance, and relationship. In S.C. Hayes, V.M. Follette & M.M. Linehan (Eds.), Mindfulness and acceptance: Expanding the cognitive-behavioral tradition (pp. 1–29). New York: Guilford.

Ilardi, S. S., & Craighead, W. E. (1994). The role of nonspecific factors in cognitive‐behavior therapy for depression. Clinical Psychology: Science and Practice, 1(2), 138-155.

Jacobson, N. S., Dobson, K. S., Truax, R A., Addis, M. E., Koerner, K., Gollan, J. K., Gortner, E. & Prince, S. E. (1996). A component analysis of cognitive-behavioral treatment for depression. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 64,295-304.

Longmore, R. J., & Worrell, M. (2007). Do we need to challenge thoughts in cognitive behavior therapy? Clinical Psychology Review, 27, 173–187.

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