« Du coup », ou la mise en échec de la Théorie des Cadres Relationnels

Le but de cet article est d’exposer mon désarroi et de reconnaître publiquement mon incompétence. Grâce à la Théorie des Cadres Relationnels (TCR), j’ai développé ma compréhension du fonctionnement du langage. Mais là, je sèche.

La chose est maintenant entendue, nous commençons à en savoir un rayon en matière de langage. La TCR a montré qu’il consiste en la mise en relation d’équivalence de stimuli de façon arbitraire. En clair, on prend n’importe quel stimulus, on l’associe avec n’importe quel autre, et en raison du processus de dérivation propre à l’être humain, les propriétés du premier se propagent au second, si bien que le second peut en quelques sortes remplacer le premier, le mot remplace la chose. Par exemple, le mot « chocolat » est mis en relation d’équivalence avec du chocolat. On aurait pu décider d’appeler ça du « lacocho », ça aurait tout aussi bien fait le job.

Concrètement, le mot est prononcé à plusieurs reprises après qu’on ait donné du chocolat à un enfant en bas âge par exemple, si bien qu’au bout d’un moment le mot « chocolat » suffit à déclencher des sourires et de l’excitation chez l’enfant. Par la suite, si on propose à l’enfant une « truffe » et qu’on lui dit qu’une truffe est meilleure que du chocolat, il s’attendra à aimer ça encore davantage, alors même qu’il n’en a jamais mangé. A l’inverse, on sait que nous évitons souvent de penser à des événements difficiles de notre histoire, ou encore d’en parler, alors même que nos pensées et les mots qui les constituent ne sont absolument pas dangereuses, contrairement à ces événements.

Bref, nous disposons maintenant de nombreuses preuves expérimentales de ces mécanismes qui constituent le langage, et même s’il reste des zones d’ombres et des choses que nous ne comprenons pas, globalement, nous connaissons les mécanismes principaux.

Mais, du coup ?

Malgré toutes ces connaissances, malgré les dizaines d’articles imbuvables que j’ai étudiés, décrivant des expériences de laboratoire toutes aussi austères les unes que les autres, malgré les heures passées à réfléchir à ces questions, malgré toutes les recherches que j’ai réalisées, je le confesse ici, je ne comprends pas pourquoi l’être humain francophone prononce les mots « du coup » à n’importe quel moment et de façon répétée. C’est un mystère. Ces mots échappent au modèle théorique.

A la caisse du supermarché, la caissière me dit « Bonjour. Du coup ça fait 3 euros 50 ».

Un type de chez Engie frappe à ma porte, j’ouvre, il dit « Bonjour, du coup je suis Pierre Martin de chez Engie ».

J’arrive au salon de beauté, l’esthéticienne m’accueille et me dit « Alors du coup on va passer dans la cabine, veuillez me suivre du coup. »

Je ne comprends pas. Je ne comprends pas à quoi font référence ces « du coup ». Quel peut bien être le stimulus qui a été mis en relation d’équivalence avec « du coup » ? Quelles propriétés ont acquis ces « du coup » ? Quelle est la fonction des « du coup » ? Quid du contexte d’apparition de cette expression? Grâce à notre approche basée sur la philosophie pragmatique de William James, je devrais pouvoir trouver l’utilité de cette expression. Mais là y’a rien qui me vient. Je sèche complètement. Le néant.

Du coup, je me questionne sur l’utilité de notre modèle théorique. Voilà.

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