L’acceptation : forme ultime du contrôle

Dans le langage courant, on confond souvent « acceptation » et « lâcher-prise ». Pour les deux termes, on comprend qu’il s’agit de ne pas s’arc-bouter inutilement face aux événements pénibles qui croisent notre route. L’hypothèse sous-jacente est qu’une souffrance inutile émerge d’une recherche de contrôle à tout prix, et que laisser les événements se dérouler sans notre intervention est parfois préférable (en poussant la démarche à l’extrême, on arrive parfois à « frôler la vie », comme le dit Tyler Durden dans Fight Club).

Pourtant, lorsqu’on regarde dans le détail, alors qu’elle semble être un abandon du contrôle -un « lâcher-prise »-, l’acceptation est en fait la forme ultime du contrôle, et de loin la plus difficile à atteindre.

En effet, quand nous ressentons de la peur ou de la colère par exemple, ces émotions nous dictent les réactions que nous devons avoir. La peur nous enjoint d’éviter ou de fuir ; la colère nous intime de mordre. Ces émotions nous poussent à agir automatiquement et rapidement, pour nous sortir de situations dangereuses ou éviter de nous y fourrer. Ou encore, paradoxalement, ces émotions nous poussent à agir afin qu’elles-mêmes cessent au plus vite. En fait, bien que ce soit le plus souvent pour notre bien, lorsque nos réactions sont dictées par nos émotions, nous perdons le contrôle.

Au contraire, l’acceptation consiste à contrôler nos réactions en présence de nos émotions difficiles, à résister aux impulsions à agir dictées par nos émotions. Il faut garder à l’esprit que si les émotions nous poussent à agir d’une certaine façon, elles n’ont pas un pouvoir absolu sur nos comportements. Nous vivons tou.te.s des situations dans lesquelles nous allons à contre-courant de ce que nos émotions nous dictent. Nous désobéissons à la peur des examens médicaux ou de parler en public. Nous retenons les coups que la colère nous demande de porter. Nous dépassons le dégoût pour soigner les plaies d’un être cher. Il existe un espace entre nos émotions et les réactions, apparemment automatiques, qu’elles déclenchent. Cet espace est celui dans lequel nous pouvons nous glisser pour prendre le contrôle avant que nos émotions soient totalement aux manettes. Face à des réactions automatiques, produits de la sélection naturelle, il est nécessaire de se contrôler pour ne pas réagir comme nous sommes programmés à le faire. Ce faisant, on reste parfois plus longtemps en contact avec ces émotions pénibles, mais elles ne contrôlent plus notre vie, c’est nous qui la contrôlons à nouveau.

Il s’agit donc, et c’est peut-être le plus difficile à saisir, de reprendre le contrôle pour finalement ne pas réagir ; c’est-à-dire reprendre le contrôle pour ne rien faire. Apparemment ne rien faire. Apparemment « lâcher-prise ». Mais en réalité, il s’agit de faire « rien » vis-à-vis de ces émotions. Quoi de plus difficile que de faire « rien » lorsque la brûlure qui est en vous vous commande de vous agiter en tous sens pour la faire cesser ? Faire « rien » en présence de ces émotions difficiles, c’est les laisser faire ce qu’elles veulent, mais en étant très actif pour contrôler nos réactions « naturelles » à ces émotions. Il s’agit finalement de déplacer la recherche de contrôle depuis les émotions –qui sont très peu contrôlables, ou à un prix très élevé-, vers nos réactions à ces émotions, qui sont elles bien contrôlables, et souvent sources de nos souffrances.

Accepter, c’est mettre toute son énergie pour contrôler ses réactions à ses émotions, afin parfois d’organiser une réaction contraire à celle qui nous vient automatiquement. On peut alors rester de marbre tout en étant terrorisé, voire se rapprocher de ce qui fait peur, embrasser la honte, chérir la colère, laisser la tristesse prendre sa place, pour finalement être libre de faire tout ce qui compte pour soi.

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