Les autres mondes

En travaillant sur un document des collègues de l’institut Max Planck, je suis tombé sur une citation d’Agustín Fuentes dans la somme que constitue son manuel d’anthropologie , où il propose un exercice intéressant du point de vue de l’ACT et de la théorie des cadres relationnels.

Il nous défie de parvenir, pendant quelques heures, à utiliser uniquement des mots qui désignent des choses directement dans notre champ de vision, ne faisant référence qu’au moment présent, et ne comprenant aucun adjectif ou représentation de nos pensées.

Bien entendu, cette prouesse est quasiment impossible.

Ce que cela implique, c’est que le langage nous sert essentiellement à désigner des mondes auxquels nous ne pouvons pas accéder directement : des mondes passés ou à venir, des mondes qui ne sont pas à portée de nos sens, et des mondes intérieurs.

Que le langage nous serve simplement à désigner ces mondes, ou qu’il les créé de toutes pièces (voir à ce sujet la question du nominalisme et de l’ontologie), il est clair que ces autres mondes occupent une bonne part de notre attention et que l’être humain se comporte de manière privilégiée en fonction de ces autres mondes. L’entrainement attentionnel proposé par les pratiques de pleine conscience/ pleine présence sert à éviter de se faire embarquer dans ces autres mondes, parce qu’on y vit parfois des expériences difficiles.

L’exercice de Fuentes peut être éclairant pour celles et ceux qui ont des difficultés à comprendre ce qu’on appelle les relations arbitraires dans la théorie des cadres relationnels : si je dis par exemple « ton chemisier est magnifique », il est tout à fait possible de trouver quelqu’un qui le jugera hideux, et il m’est tout aussi possible de dire le contraire, sans avoir davantage tort ou raison. En effet, rien, dans l’essence du chemisier, ne correspond à « magnifique » ou à « hideux ». C’est bien nous qui le qualifions de ceci ou de cela, et de façon tout à fait arbitraire. La meilleure preuve est qu’on peut très vite changer d’avis en matière esthétique (qui n’a jamais regretté l’achat d’un vêtement deux heures plus tard 😉 ?).

D’ailleurs, la phrase correcte aurait pu être « je trouve que ton chemisier est magnifique ». Finalement, ce que nous qui désignons verbalement n’est pas le chemisier lui-même, mais ce que nous ressentons face à ce chemisier. En un sens donc, lorsque je dis « ton chemisier est magnifique », je suis en fait en train de transmettre à l’autre des informations sur mon monde intérieur au moment où je vois son chemisier.

D’ailleurs, ne sommes-nous pas en train de nous dévoiler un peu chaque fois que nous parlons?

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