L’évitement d’expérience est une machine à sous

Dans l’approche comportementale, on s’intéresse beaucoup aux conséquences des comportements, parce qu’ils déterminent les comportements futurs. Notamment, on regarde à quelle fréquence les conséquences apparaissent.

Est-ce qu’une conséquence appréciable apparaît à chaque fois que je réalise tel comportement, ou seulement de temps en temps? Par exemple, chaque fois que j’entre dans une boulangerie, que je demande une baguette et que je donne un euro, on me donne en échange une baguette. Dans la terminologie comportementale, on dit alors que mon comportement est gouverné par un programme de renforcement à ratio fixe. Cela signifie que l’apparition du renforçateur (le pain dans cet exemple) est déterminée par le nombre de comportements (un seul dans cet exemple) et que ce nombre est toujours le même (dans l’exemple je réalise le comportement une fois, je suis renforcé chaque fois). Un autre exemple pourrait être celui d’une carte de fidélité dans une pizzeria. Il faut que j’achète 10 pizzas pour bénéficier d’une pizza gratuite. C’est bien le nombre de mes achats qui détermine l’arrivée du renforçateur (la pizza gratuite), et ce nombre est fixe (10 dans cet exemple). S’il arrivait que le pizzaiolo me refuse la pizza gratuite alors que j’en acheté 10, ou que la boulangère ne me donne pas de pain après que je lui ai donné un euro, gageons que je ne serais plus client chez eux.

Certaines conséquences n’apparaissent pas selon un programme à ratio fixe, mais variable. Les machines à sous des casinos constituent l’archétype d’un programme à ratio variable. Le gain dépend directement du comportement de jouer (plus vous jouez, plus vous augmentez vos chances de gagner), mais le nombre de fois qu’il est nécessaire de jouer pour gagner est variable. Si on savait que telle machine à sous dans tel casino est gagnante une fois sur 100 par exemple, le jeu serait vraiment bizarre. Notamment, qui serait assez idiot pour accepter de jouer les 99 autres fois ?

Contrairement à ce qui se passerait si le pizaïolo me refusait la 11ème pizza gratuite, face à une machine à sous, nous continuons à jouer même après avoir perdu. En effet, même si je perds 100 fois de suite, rien ne permet de savoir si la 101ème fois ne sera pas la bonne. En clair, comme les systèmes à programme variable sont imprévisibles, on abandonne beaucoup plus difficilement, car on se dit qu’on va gagner la fois suivante.

L’évitement d’expérience fonctionne comme une machine à sous. Il est gouverné par un programme à ratio variable. De temps à autres, les tentatives pour contrôler une anxiété persistante, un sentiment d’infériorité ou de culpabilité qui nous accompagne depuis toujours, parviennent à apaiser la souffrance. Chaque fois, le soulagement est un peu comme un gain à la machine à sous : on en arrive à croire qu’on a trouvé la martingale, la façon de gagner à tous les coups, la solution à notre souffrance. Alors si la fois suivante notre « méthode » de soulagement ne fonctionne plus aussi bien, on n’abandonne pas pour autant. Au contraire, on insiste, comme le ferait un joueur devant sa machine. Ça a réussi une fois à force de persévérance, ça finira bien par marcher à nouveau !

C’est parce que l’évitement expérientiel fonctionne de temps en temps que nous y sommes accrochés et qu’il est difficile de ne pas retenter sa chance. Pourtant, comme en matière de jeu, on peut devenir accro à l’évitement d’expérience. On peut même dire que nous sommes tou.te.s, en première intention, addicts à l’évitement de nos expériences psychologiques douloureuses. Les difficultés apparaissent pour celles et ceux qui sont prêt.e.s à tout sacrifier pour ne pas ressentir d’émotions difficiles, comme un joueur dépenserait tout son argent dans les machines à sous, certain qu’il finira par gagner.

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