L’exposition graduée est un oxymore

L’exposition graduée est une méthode thérapeutique qui a largement fait ses preuves dans toutes les problématiques psychologiques impliquant la peur. Elle renferme pourtant un paradoxe de taille : elle propose de se mettre au contact de ce qui fait peur, dans l’objectif ultime de faire disparaître la peur. Bizarrement, elle organise simultanément l’approche et l’évitement. Une forme d’oxymore thérapeutique.

L’évitement est au cœur des problématiques psychologiques dont la présentation principale est la peur (phobies, trouble obsessionnel compulsif, PTSD, etc.). Il est même considéré par certains comme à l’origine de ces difficultés, ou à tout le moins comme un facteur d’entretien. C’est bien connu, plus on évite ce qui fait peur, plus la peur grandit. La stratégie d’exposition graduée vise à aller à l’encontre de ces évitements et à se rapprocher volontairement des stimuli phobogènes.

A priori, la démarche fait sens. Après tout, puisque tout le monde sait que le danger n’est pas réel, même la personne qui ressent la peur, il parait raisonnable de détromper notre signal d’alarme émotionnel en lui désobéissant et en constatant que rien de grave n’arrive. C’est ce que propose le thérapeute à son patient, et ce qu’il lui explique. D’une certaine façon, l’exposition graduée consiste à expérimenter avec ses tripes ce qu’on sait intellectuellement, à savoir que rien de grave ne va arriver, même si la situation risque d’être pénible. En filigrane, les messages sont « il n’y a aucun risque à ressentir de la peur, même si c’est désagréable ; Vous pouvez faire ce que vous voulez en présence de la peur, même vous rapprocher de ce qui la déclenche, elle ne contraint pas vos actions ».

Dont acte.

Les patients qui s’engagent dans une démarche d’exposition ont bien compris que le danger n’est pas réel. Ils acceptent donc de se rapprocher volontairement de ce qui leur fait peur. En fait, ils acceptent de laisser la peur les assaillir. Ils réalisent un mouvement d’approche de la peur, encouragés par leur thérapeute. Quel est l’objectif de ce mouvement d’approche ? L’évitement de la peur ! In fine, le mouvement d’approche a pour but de ne plus ressentir de peur face aux stimuli concernés ! On propose aux patients de faire l’inverse de ce qu’ils font habituellement -s’exposer plutôt qu’éviter ce qui leur faire peur- avec la promesse qu’ils finiront par ne plus ressentir de peur dans cette situation. S’approcher pour mieux s’éloigner, bizarre…. La contradiction interne est évidente : si la peur n’est pas dangereuse, si elle n’oblige ni n’interdit aucune action, pourquoi mon thérapeute s’évertue-t-il à essayer de la faire disparaître ? Et encore : si la peur n’est pas dangereuse, pourquoi mon thérapeute me propose de m’en rapprocher graduellement ?

L’exposition graduée est efficace, aucun doute là-dessus. La question de ses mécanismes d’action reste cependant posée. Son efficacité provient peut-être du fait d’agir en contradiction avec la peur, c’est-à-dire de se rapprocher quand tout en nous nous dit de fuir. Son efficacité peut aussi provenir de l’indépendance acquise vis-à-vis de la peur. Or, contredire une émotion, c’est s’en libérer un peu, mais c’est toujours être en lien avec elle, toujours avoir quelque chose à faire en direction de cette émotion. Agir totalement indépendamment de la peur ce n’est ni tenter de l’éviter, ni chercher à s’en rapprocher, ni lui obéir, ni lui désobéir, ni la contredire. Etre indépendant de la peur, c’est la laisser faire ce qu’elle veut, pour que nous aussi on puisse faire tout ce qu’on veut.

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