Un exemple de changement de perspective côté thérapeute

perspectivesUne des fonctions importantes de la supervision est de permettre au thérapeute d’analyser ses réactions en réponse à ce qui se déroule au cours de la thérapie. Le regard que porte le thérapeute sur lui-même, notamment la fusion avec ses jugements négatifs à propos de ses compétences, constitue l’un des points les plus fréquemment problématiques.

Dans un article récent, Luc Vandenberghe et Jocelaine Martins da Silveira proposent deux précieuses analyses de situations cliniques, dans lesquelles ils mettent en évidence la façon dont le thérapeute peut entraîner ses capacités au changement de perspective, afin d’améliorer la relation thérapeutiqueSouvent, les situations au cours desquelles les thérapeutes se sentent en difficulté impliquent une critique, de la part du patient, ou évoquée par ce que le patient amène en thérapie. Vandenberghe et da Silveira prennent l’exemple de Richard, un patient d’une vingtaine d’années, qui se présente pour des problèmes d’anxiété. Plus précisément, il est fréquemment assailli par la peur de ne pas être à la hauteur dans son travail. Fils d’une mère ingénieur intrusive et exigeante, il est lui-même très contraint par des règles strictes, notamment par l’idée que ses émotions ne doivent pas influencer ses décisions.

Au cours d’une discussion avec sa thérapeute, il lui dit « Je ne me sens pas bien d’être ici en tant que patient. Je me sens idiot. Je me demande comment vous pouvez avoir confiance en vous en tant que professionnelle en prenant vos décisions à partir d’éléments si subjectifs ! ».

Pas glop! Car cette interrogation est immédiatement reprise à son compte par la thérapeute, sous la forme d’une critique -« Quel type de professionnelle suis-je effectivement, si je base entièrement mes interventions sur du matériel subjectif ? »-, critique à laquelle la thérapeute souscrit, peut-être en raison de son appartenance à une équipe universitaire et de sa volonté d’être rigoureuse dans son travail. Et puis, pas facile non plus pour cette thérapeute de penser que son patient n’a pas confiance en elle, ni en ses compétences.

Si cette thérapeute n’était pas parvenue à intégrer suffisamment cet inconfort, deux risques principaux pour la relation thérapeutique auraient pu se faire jour. Elle aurait d’abord pu entrer dans un débat intérieur sur la véracité de l’affirmation « Tu n’es pas une bonne thérapeute », la coupant alors de la relation avec son patient, ou orientant ses interventions vers une recherche de réassurance pour elle-même. Par exemple en donnant des solutions clé-en mains au patient, nécessairement inadaptées. L’autre écueil aurait consisté, dans un même objectif d’évitement de l’inconfort, à tenter de prouver au patient qu’il se trompait, par exemple en mettant en avant les résultats de recherches prouvant le bien-fondé de sa démarche clinique. Là encore, la relation thérapeutique aurait été gênée par une telle intervention, dont la fonction aurait avant tout été tournée vers le thérapeute, et non vers le patient. L’échange aurait alors pu tourner au débat stérile.

En réalisant un travail d’acceptation de cet inconfort, la thérapeute a pu repérer le parallèle entre ce qu’elle ressentait en se considérant une mauvaise thérapeute et ce que ressentait son patient. Au lieu de chercher à se débarrasser de cet inconfort, elle s’en est servi, en commençant par valider l’affirmation du patient. « Vous avez raison. Baser mes décisions thérapeutiques sur mes émotions est exactement ce que je fais maintenant. Mais pourquoi cela serait-il stupide ? Lorsque vous me dites que je base mon travail uniquement sur des aspects subjectifs, j’ai le sentiment que ce que je fais est mauvais. Est-ce que nos émotions sont réellement sans intérêt ? ».

Grâce à l’acceptation de ses émotions, la thérapeute est parvenue à un dévoilement de soi qui a servi de modèle au patient. Sécurisé par la possibilité de vivre et d’exprimer des émotions, le patient s’est progressivement engagé de façon active dans la thérapie.

La relation thérapeutique est souvent mise en avant comme un ingrédient central de l’efficacité d’une thérapie. Elle est fortement influencée par les réactions du thérapeute à ses propres pensées et émotions. C’est pour cette raison que chaque thérapeute doit pouvoir travailler régulièrement son positionnement face à ses événements psychologiques qui apparaissent en situation clinique.

Source : Vandenberghe, L., & da Silveira, J. M. (2013). Therapist Self-as-Context and the Curative Relationship. Journal of Contemporary Psychotherapy. doi: 10.1007/s10879-012-9230-8

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