Est-il possible de faire cesser les émotions que nous n’aimons pas, significativement et durablement, sans se priver de ce qui compte pour soi? La thérapie d’acceptation et d’engagement voit un piège dans cette quête (le fameux « piège du bonheur »). Mais d’autres la poursuivent et on voit souvent apparaître des propositions de contrôle des émotions, sous une forme ou une autre.
Dans ce Ted Talk, Lisa Feldman Barrett explique que nous construisons nos émotions en interprétant nos sensations physiques et en établissant des prédictions sur la base du contexte et de notre histoire. Si on peut être en partie d’accord sur cet approche constructiviste des émotions, ce que Lisa Feldman Barrett en tire comme implication semble davantage sujet à caution: elle afirme qu’on peut modifier son expérience émotionnelle sur commande en la réinterprétant, en accordant une autre signification aux manifestations de l’émotion. En d’autres termes, elle affirme qu’on peut se duper en se faisant croire que ce qu’on ressent n’a pas la signification qu’on y accorde intuitivement.
Elle donne l’exemple de quelqu’un dont le cœur s’emballe au moment de passer un examen. Elle soutient que le fait d’interpréter l’accélération du rythme cardiaque comme une préparation à la bataille, le signe qu’on va réussir l’examen, changerait l’expérience émotionnelle.
Du point de vue de la Théorie des cadres relationnels qui sous-tend l’ACT, on pourrait y voir un augmental, -un stimulus verbal qui modifie la valeur renforçante ou punitive d’un autre stimulus- sous la forme d’une relation de coordination entre le rythme cardiaque élevé et le fait d’être prêt à l’action, à donner le meilleur de soi-même. Pourquoi pas. Cet augmental pourrait être efficace. Il ne modifierait pas la peur mais la noierait peut-être dans une forme d’enthousiasme. Cela pourrait fonctionner.
Sauf que ça ne sera pas efficace si la peur est votre problème.
La raison est que lorsque vous souffrez de la peur, vous êtes vraisemblablement déjà engagé dans une recherche active de moyens de la soulager, et surtout particulièrement attentif à sa présence. Vous la surveillez. Elle occupe toute la place. Dans ces circonstances, si vous cherchez activement une autre signification à ce que vous ressentez, dans le but de transformer votre expérience émotionnelle -et même si vous trouvez cette nouvelle signification-, vous savez que vous l’avez cherchée et trouvée pour faire disparaître la peur. On est ici à mi-chemin entre la réinterprétation cognitive et la stratégie de distraction. De fait, vous interprétez toujours les battements de votre coeur comme signe de la peur et d’un danger, sinon pourquoi chercher à s’en débarrasser ?
Pendant ce temps, votre cerveau écoute. Si vous faites quelque chose de particulier pour faire cesser une émotion, il identifiera cette émotion comme un danger potentiel et vous allez continuer à surveiller et à anticiper, ce qui laissera une plus grande place à cette émotion. Si vous essayez de réinterpréter ce que vous ressentez, de transformer votre expérience émotionnelle, c’est que ce que vous ressentez est dangereux. La cause de votre réinterprétation est la menace que représente cette émotion à vos yeux. Une relation se construit alors entre la réinterprétation et le danger que représente pour vous cette émotion, et cette relation ne peut être supprimée volontairement.
Il n’existe que deux situations dans lesquelles cette réinterprétation des manifestations émotionnelles peut fonctionner:
- Lorsque cette réinterprétation s’évoque spontanément en vous sans que vous l’ayez cherchée, dans une sorte de moment aha
- Lorsque quelqu’un d’autre vous la fournie – par exemple une thérapeute.
C’est à dire, lorsque vous ne cherchez pas a priori une fonction d’échappement à cette réinterprétation. Dans ces cas, la réinterprétation n’est pas elle-même mise dans une relation de coordination avec le danger que représente l’émotion pour vous, et elle peut porter ses fruits.
En dehors de ces situations, la réinterprétation aura une fonction d’évitement expérientiel, dont on sait le peu d’efficacité dans le contexte des difficultés psychologiques, et dont on identifie même le rôle causal dans le développement et le maintien des troubles. Aussi, si l’émotion concernée représente déjà pour vous un problème à résoudre, peu de chances que vous parveniez à la réinterpréter d’une façon qui vous permette de vous en débarrasser.
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