Ne pas toujours craindre le Soi

On est souvent soucieux lorsqu’on rencontre un patient ou une patiente très en fusion avec la description qu’elle donne d’elle-même, ce qu’on appelle le Soi comme contenu ou Soi conceptualisé dans l’ACT. Il est certain qu’il parait préférable de disposer d’un Soi flexible et de ne pas se résumer aux quelques mots qui s’évoquent en nous pour nous qualifier, ou plus précisément, pour nous dysqualifier. L’apprentissage relationnel entraîne en effet que les propriétés des mots dont nous nous servons pour nous désigner (« tu n’es pas persévérante », « tu es vraiment un looser », « bouboule », « incompétent ») se propagent rapidement à ce que nous appelons « moi » et c’est à ce moment-là que la souffrance se déverse.

Parmi les démarches qu’on peut mettre en place en clinique, les plus évidentes consistent à développer la capacité à prendre toutes ces descriptions avec distance, au moyen d’un travail de défusion. Ces mots ne décrivent en effet pas une réalité tangible dont on pourrait attester, pour laquelle il existerait quelque part un point de référence stable permettant de dire si ces qualificatifs vous décrivent réellement. Par exemple, même s’il existe des critères statistiques pour dire si vous êtes plus ou moins gros que la moyenne, cette valeur, et encore moins le label « bouboule », ne peuvent être déterminés définitivement pour tous les groupes et pour toutes les époques. En fait, on ne peut jamais être certain que ce qualificatif vous correspond puisque -pour reprendre les termes de la théorie des cadres relationnels- ce qualificatif est arbitraire. Il a été mis en relation d’équivalence avec le Soi (sous-entendu dans la pensée « bouboule », « je suis bouboule ») ; à d’autres époques et dans d’autres groupes, d’autres qualificatifs auraient été donnés, ou encore ce même qualificatif aurait d’autres fonctions –pourquoi pas des fonctions appétitives-, voire n’aurait pas de fonctions particulières.

Face au Soi conceptualisé à l’origine d’une souffrance importante, on peut également entraîner le Soi contextualisé, cette qualité d’observation qui consiste à percevoir qu’on perçoit, de manière à concevoir que nous sommes bien plus que ce que nous disons de nous, bien plus que nos perceptions, que nos souvenirs, que nos émotions, etc. puisque nous percevons tout cela. L’entraînement à la pleine présence contribue à atteindre ce point d’observation.

Enfin, bien que cela puisse paraître surprenant, le développement du Soi conceptualisé peut lui-même être une voie thérapeutique. En effet, ce qui pose problème aux personnes qui ont besoin de l’aide d’un thérapeute c’est à la fois le fait d’être en fusion avec ces mots qui les qualifient, mais aussi le fait que ces qualificatifs convoquent des fonctions aversives. Etre en fusion avec des qualificatifs qui correspondent à nos valeurs aura un effet bénéfique. Aider les personnes en souffrance à (re)définir ce qui compte pour elles, et à se (re)définir comme celles qui vibrent quand elles incarnent ces valeurs, est également particulièrement utile. Aussi, bien qu’on soit tentés en tant que thérapeutes de travailler toutes les occurrences de « je suis… » comme autant de signes problématiques de fusion, il est important de se rappeler que ces descriptions de soi peuvent être très profitables. « Je suis attentionné », « Je suis celle qui aime découvrir », « Je suis soucieux des autres », peuvent constituer des exemples de fusion bénéfique avec le Soi.

En résumé, la fusion avec le Soi n’est pas a priori nocive. Elle ne l’est que lorsque les fonctions des stimuli mis en équivalence avec le Soi sont aversives. Se souvenir, encore et toujours, que l’ACT fait partie d’un courant de psychologie appelé psychologie contextuelle. Rien n’y est considéré comme vrai ou faux, bon ou mauvais dans l’absolu, mais toujours utile ou non en fonction du contexte.

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