Ce qu’on ne se dit jamais

On se parle très souvent à soi-même. Généralement sans même sans rendre compte. On se parle à haute voix quand on est seul, ou silencieusement, dans sa tête, quand il y a du monde autour de soi. On se parle quasiment tout le temps en fait, et tout le monde le fait.

Pour autant, même si le comportement de se parler à soi est très répandu, il reste à l’évidence difficile à observer. En fait, un seul observateur peut le faire à la fois ! (il y a bien ce film, Chaos walking, dans lequel les pensées de chacun sont entendues par tous, mais c’est de la science-fiction de série B…).

Il n’empêche. Bien que l’étude du discours intérieur implique de facto la subjectivité, les chercheurs ont réalisé des observations très intéressantes quant au contenu de ce qu’on se dit. On a constaté par exemple qu’une part importante du discours intérieur correspond en fait à des comportements (résolution de problèmes, planification d’actions, etc.). Aussi, sans surprise, on se parle des stimuli qu’on a sous la main, à savoir, de nos émotions, qu’on essaie souvent de contrôler par notre discours intérieur.

Bien entendu, ce qu’on pense aura des répercussions sur nos comportements en fonction de notre fusion avec ces contenus de pensée.

Mais au-delà de ce dont on se parle, on peut aussi se pencher sur ce qu’on ne se dit pas. Lev Vygotski a été un des psychologues qui s’est le plus intéressé à la question du discours intérieur. Il écrit dans son ouvrage majeur sur cette question Le langage intérieur est un langage pour soi. Le langage extériorisé est un langage pour les autres. On ne peut concevoir que cette différence radicale et fondamentale dans les fonctions de l’un et de l’autre puisse ne pas avoir d’effets sur la nature de leur structure. (Vygotski, 1934, p. 442).

J’ajoute qu’on ne peut concevoir que cette différence n’ait pas de répercussion sur la fusion avec ce qui est est dit. On observe notamment qu’il y a des morceaux de phrases qu’on ne se dit jamais à soi-même. On ne se dit pas je me dis que, ni j’ai l’impression que, ni j’hésite, ni j’ai eu l’idée que, ou encore je pèse le pour et le contre.

(sans parler du j’ai envie de dire, qui devrait être mis à l’amende tout autant que le du coup qui continue, malgré mon article pourtant partagé plusieurs millions de fois, à fuser à tort et à travers :))

Non. On se dit des choses, on hésite, on a des impressions, bref, on agit mentalement mais on ne se décrit pas à soi-même ces actions. Toutes ces formules sont en fait destinées à décrire à l’autre nos comportements internes, mais nous ne nous les disons pas à nous-même.

En fait, bien que chacun de nous soit le seul à pouvoir observer notre discours intérieur, la plupart du temps nous ne le décrivons pas, ni ne l’observons. La fusion est alors bien plus importante.

Dans le même esprit que le gimmick de l’ACT j’ai la pensée que visant la défusion, on peut essayer de nommer parfois ce qu’on est occupé à faire au travers de notre discours intérieur (par exemple se dire je compare, j’hésite, etc.). On occupe alors plus fréquemment une position d’observateur et on augmente la distance avec notre comportement verbal interne peuplé de dérivations arbitraires, ainsi qu’avec ses répercussions sous la forme d’émotions et autres pensées.

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Le thème de ce billet m’a été inspiré par une discussion avec Charles Louis. Les auteurs se posent souvent des questions de psychologues pour rendre compte de ce que vivent et pensent leurs personnages.

Référence: Morin, A., Duhnych, C., & Racy, F. (2018). Self‐reported inner speech use in university students. Applied Cognitive Psychology32(3), 376-382.

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