On s’en doutait un peu, mais ça va toujours mieux en le démontrant : la majorité des personnes qui pratiquent la méditation le font dans un objectif de contrôle de leur expérience émotionnelle. C’est le résultat principal d’une étude qui vient d’être publiée dans le Journal of Clinical Psychology (Q1 dans Scimago).
Qui plus est, d’après cette étude, ceux qui méditent dans ce but de contrôle sont également ceux qui vont le moins bien…
Un groupe de 98 personnes pratiquant ou ayant déjà pratiqué la méditation ont été interrogés dans cette étude. Après leur avoir demandé depuis combien de temps ils méditaient, à quelle fréquence, le type de méditation, comment ils avaient appris à méditer (seuls ou avec un instructeur) et les répercussions de la méditation dans leur vie quotidienne, on leur demandait pourquoi ils méditaient. Les participants pouvaient choisir entre une réponse marquant un objectif de contrôle expérientiel (pour gérer, contrôler ou éviter le stress et les difficultés, les émotions difficiles, les pensées/images désagréables ou les habitudes et impulsions indésirables[1]) ou une réponse orientée vers l’acceptation et l’ouverture (pour laisser tomber les luttes inutiles, s’ouvrir aux expériences telles qu’elles sont, être plus présent au monde, gagner de l’espace, voir les choses plus clairement[2]), ou la réponse « autre ».
On leur demandait au passage dans quelle mesure ils considéraient que le stress, la dépression et l’anxiété étaient problématiques dans leur vie.
Au total, 58,2% des participants ont décrit avoir pratiqué la méditation dans un but de contrôle de leur expérience. Ces mêmes participants, la majorité donc, ont rapporté vivre plus d’anxiété et plus de dépression que ceux pratiquant la méditation dans un but d’acceptation. Ce sont aussi ceux pratiquant la méditation dans un but de contrôle expérientiel qui avaient moins tendance à accéder à la pleine conscience.
Enfin, sans surprise, le fait de considérer le stress et l’anxiété comme problématiques (au-delà d’être pénibles, ce sur quoi tout le monde s’accorde) augmente le risque de pratiquer la méditation dans un but de contrôle expérientiel.
Du point de vue de l’ACT, l’intérêt de développer une pratique méditative repose sur le fait qu’une telle pratique peut accroître la variété du répertoire comportemental formellement et fonctionnellement. La pratique méditative permet à celui qui la découvre de développer une attention différente aux stimuli internes, pour pouvoir le cas échéant défusionner des pensées et laisser les expériences émotionnelles se déployer. Ajouter à son répertoire comportemental une posture d’ouverture envers ces stimuli internes permet alors d’avoir le choix – de contrôler ou d’accepter ce qui se passe en soi- en fonction de ce que la situation offre et de ce qu’on veut accomplir in fine.
A contrario, s‘engager dans une pratique méditative avec un objectif de contrôle, alors que les précédentes tentatives de contrôle ont échoué ou ont coûté quelque chose d’important pour soi, c’est faire plus de la même chose. Dans ce cas, la variation des comportements n’est que formelle, la fonction recherchée étant toujours l’échappement ou l’évitement. C’est l’incarnation même de la perte de flexibilité psychologique, une exploration stérile de l’environnement…
En d’autres termes, la pratique de la méditation n’est utile du point de vue de l’ACT que si elle permet d’accroître la flexibilité psychologique. De fait, elle n’est utile que si elle n’est pas systématisée mais constitue une des façons possibles, parmi d’autres, d’être en relation avec ses stimuli internes. Elle n’est utile que si on peut y recourir, non si on doit y recourir.
Pour conclure, notons également que dans cette étude le format d’apprentissage de la méditation -seul ou avec un instructeur- n’était pas statistiquement différent entre ceux utilisant la méditation dans un but de contrôle et ceux l’utilisant dans un but d’acceptation. Alors même que la plupart des instructeurs disent insister sur l’absence de buts de contrôle expérientiel de la pratique méditative, il semble que la dépendance à l’évitement expérientiel entraîne le plus souvent leurs élèves à détourner la fonction de leur enseignement…
[Cet article intéresserait quelqu’un dans votre réseau? Partagez!]
Tifft, E. D., Underwood, S. B., Roberts, M. Z., & Forsyth, J. P. (2022). Using meditation in a control vs. acceptance context: A preliminary evaluation of relations with anxiety, depression, and indices of well‐being. Journal of Clinical Psychology, 1-15.
Photo by cottonbro
[1] “to manage, control, or avoid stress and difficulties, difficult emotions, unpleasant thoughts/images, or unwanted habits and impulses”
[2] “to let go of needless struggle, to open up to experiences as they are, be more present in the world, gain space, to see things more clearly”
1 comment for “Le détournement de la méditation”