Viser le tracking et non la pliance

Dans la théorie des cadres relationnels, on s’intéresse beaucoup aux comportements gouvernés par des instructions. L’instruction, aussi appelée règle verbale, peut être suivie en raison des conséquences directes du comportement, c’est-à-dire des conséquences émanant de l’environnement physique. On parle alors de tracking pour désigner ces comportements (de l’anglais to track, suivre, surveiller), et de track pour désigner ce type de règle.

Par exemple, si vous suivez la règle « en prenant appui sur sa jambe dominante on a plus de force pour taper le ballon », vous serez renforcée par les conséquences directes de votre comportement, c’est-à-dire que vous constaterez de vous-même que vous tapez le ballon plus fort. On retrouve souvent ce type de règle verbale dans les recettes de cuisine, par exemple « mélangez la farine et le lait jusqu’à obtenir un pâte homogène ». Ici, la règle demande de surveiller son environnement, et la conséquence d’appliquer la règle n’est pas médiatisée par quelqu’un. La conséquence d’appliquer la règle provient directement de l’environnement (ici, un bon gâteau).

A l’inverse, une règle verbale peut être suivie en raison des conséquences médiatisées socialement pour le comportement concerné. Le comportement qui résulte du suivi de ce type de règle est appelé pliance (comme dans compliance), et la règle est appelée ply. Les pliances sont renforcées par quelqu’un pour le simple fait d’avoir suivi la règle. Par exemple, l’instruction « Défense de stationner sous peine d’enlèvement par la fourrière » est une règle dont la conséquence sera délivrée par un tiers en fonction du suivi ou du non suivi de la règle. Si vous êtes le dernier être humain sur terre, vous pouvez stationner ici, il ne se passera rien. Si vous êtes le dernier humain sur terre et que vous ne mélangez pas la farine et le lait jusqu’à obtenir une pâte homogène, votre gâteau sera immangeable.

En thérapie, on cherche à gagner en flexibilité psychologique, c’est-à-dire à augmenter la variété des comportements en présence d’émotions et de pensées. Quand une thérapeute propose un exercice à un patient, par exemple un exercice d’acceptation ou de défusion, l’objectif est de faire expérimenter une nouvelle façon de se comporter en présence de l’émotion et/ou de la pensée qui posent problème, afin de disposer d’une plus large palette de comportements parmi lesquels choisir en fonction du contexte et des buts. Les exercices n’ont pas vocation à apaiser les émotions ou faire disparaître les pensées difficiles. Ils dirigent l’attention du patient vers ce qu’il obtient de différent en se comportant différemment, afin qu’il trouve la façon la plus utile pour lui en fonction de chaque contexte. En quelques sortes, les exercices dans l’ACT constituent un (ré)apprentissage de l’expérimentation comportementale et de la surveillance des résultats de ces expérimentations.

Les exercices dans l’ACT sont donc avant tout des tracks qui visent à amener l’attention du patient vers les changements dans son environnement (interne et externe), et non des plys, des prescriptions comportementales qui fonctionneraient uniquement parce que le thérapeute les a proposées. Lorsque les patients envisagent les exercices comme des plys, ils ont tendance à les répéter, puis à trouver qu’ils « ne marchent pas ». Or les exercices ici n’ont pas vocation à « marcher ». Ils ne constituent pas des méthodes instantanées de mieux-être, mais davantage un entraînement à essayer le changement et à être attentif à ce qu’il apporte, là où les difficultés psychologiques sont souvent marqués par la répétition, quel que soit le contexte, de stratégies moyennement efficaces, sans évaluation complète de leurs conséquences.

Laisser un commentaire