A l’heure où on parle du Metavers comme d’une révolution à venir dans les rapports humains, je vous propose d’envisager l’Innervers, notre univers intérieur, contexte dans lequel apparaissent nos émotions, nos pensées, nos sensations et nos comportements.
Dans l’approche comportementale, on considère que la cause des comportements est à rechercher dans le contexte. Plus précisément, on pense que la cause d’un comportement se trouve dans l’interaction contexte-comportement qui a précédé le comportement considéré.
Aussi, l’approche comportementale considère que l’étude d’un comportement ne peut se faire de manière indépendante du contexte dans lequel ce comportement apparait. C’est d’ailleurs pour insister sur ce point que la branche de la psychologie qui regroupe l’ACT et la Théorie des Cadres Relationnels a été appelée psychologie contextuelle.
Selon cette approche, la fonction d’un comportement est indissociable de son contexte d’apparition. Si vous voyez quelqu’un lever le bras en pleine rue sans connaître le contexte de son comportement, vous ne pouvez pas savoir s’il fait un signe pour arrêter le bus ou pour être vu par un ami. Ou encore, une prise de sang aura des fonctions émotionnelles différentes selon qu’elle vise à confirmer ou à infirmer une grossesse, ou encore à diagnostiquer une maladie. Pour un même comportement, des contextes différents détermineront des fonctions différentes. C’est tout l’intérêt de l’analyse fonctionnelle.
L’analyse fonctionnelle consiste à décrire le comportement (sa forme, sa fréquence, son intensité), mais surtout les éléments de contexte dans lequel ce comportement apparaît. Ces éléments sont autant de stimuli impliqués dans des apprentissages pavloviens (e.g., des stimuli conditionnés), des apprentissages skinneriens (e.g., des renforçateurs), ou des apprentissages relationnels (e.g., des indices relationnels).
Mais parce que les choses ne sont jamais simples en psychologie, la notion de contexte dans l’approche de la psychologie contextuelle est une notion à plusieurs volets : on parle de contexte situationnel, de contexte psychologique et de contexte historique.
Le contexte situationnel est celui auquel on pense immédiatement. C’est ce qu’on appelle couramment l’environnement. Il est composé des objets physiques et des organismes immédiatement présents au moment où le comportement apparaît : une chaise, votre collègue de bureau, ce sandwich tahini-chou rouge-falafels.
Le contexte historique fait référence à la succession de tous les comportements et de toutes les conséquences qui ont eu lieu au cours de la vie de l’organisme, dans l’ordre où ils ont eu lieu, jusqu’au comportement considéré. On peut l’envisager comme la trajectoire comportementale qui a précédé le comportement étudié.
Enfin, le contexte psychologique est composé de l’ensemble des stimuli internes présents quand le comportement apparaît: expérience émotionnelle du moment, proprioception, impulsions, souvenirs, pensées, etc.
Le contexte psychologique et le contexte historique constituent ce que je propose d’appeler l’Innervers, un univers à part entière, intérieur, dans lequel nous évoluons, avec lequel nous interagissons, et dans lequel tout le reste apparaît.
Cet univers, déterminé par le contexte historique et le contexte psychologique, constitue lui-même le contexte d’apparition des nouvelles émotions et pensées. La forme de l’Innervers est donc déterminante de la place accordée à ces nouvelles émotions et pensées, et comment elles vont contribuer à le façonner en retour.
Au même titre que l’environnement constitue un écosystème auquel certains comportements sont adaptés et dans lequel ils se reproduisent, l’Innervers constitue un écosystème psychologique dans lequel certaines pensées s’épanouissent et d’autres perdent de leur pouvoir de contrôle. Par exemple la pensée je vais échouer, je ne serai pas pris pour ce poste, aura un pouvoir de nuisance si elle apparaît dans un Innervers où chaque pensée est jugée importante et mérite d’être écoutée, où chaque pensée est considérée comme reflétant parfaitement le réel, où on pense devoir obéir à chaque pensée, ou encore lutter contre certaines.
Souvent, nous nous comportons dans l’Innervers de la même façon que dans l’environnement. Essentiellement, nous essayons d’y résoudre des problèmes. Pourtant, les objets qui constituent l’Innervers -des événements psychologiques- n’ont pas davantage de matérialité que dans le Metavers. Les événements psychologiques ne sont pas à proprement parler des problèmes à résoudre. Dans l’Innervers, nous bâtissons des futurs (fictifs), nous essayons de déplacer des blocs de passé (en vain), nous nous battons contre des mots (inoffensifs), nous analysons, nous recombinons, etc. Dans l’Innervers, nous vivons des terreurs, des regrets, de l’impatience, des rêves, des espoirs, de la culpabilité, etc. Nous nous préparons à l’action ou nous restons coincés. Mais tout cela reste dans l’Innervers. Cela ne peut avoir un effet sur l’environnement qu’avec notre collaboration.
Reconnaître l’existence de cet Innervers est une des cibles de la thérapie d’acceptation et d’engagement, et plus largement des thérapies de 3ème vague en TCC. Il s’agit de prendre conscience que cet univers est virtuel bien qu’il a toutes les apparences de l’environnement physique. Cela implique de développer la possibilité de choisir de ne pas répondre à certains éléments de cet univers virtuel, d’en laisser d’autres parfois prendre possession de cet univers, particulièrement quand nous avons des actions plus importantes à réaliser dans la « vraie vie », c’est-à-dire, en dehors de notre tête. Ces actions épanouissantes viendront prendre leur place dans l’Innervers en ce qu’elles continueront à le façonner au travers des contextes historique et psychologique.
Au final, l’Innervers est certainement tout aussi passionnant que le Metavers. On y rencontre aussi plein de monde, on y construit des théories et des analyses, on y rêve, on s’y perd, on s’y retrouve. Pas besoin de casque de réalité virtuelle, il est directement disponible. Et contrairement au Metavers, l’Innervers ne sera jamais à vendre, comme le chante le poète 😉
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