Une des utilisations des principes évolutionnistes en psychothérapie consiste à changer le contexte d’apparition des comportements, des pensées et des émotions, afin de modifier en retour ces comportements ou la portée des émotions et des pensées. Dans l’ACT par exemple, quand on aide un patient à considérer ses pensées comme des outils à sa disposition plutôt que des vérités sur le monde, ou à accueillir sa souffrance comme une information sur ce qui est important pour lui, on transforme en fait le contexte d’apparition des pensées et des émotions. D’une certaine façon, on modifie ainsi l’écosystème de certaines pensées et émotions afin qu’elles s’y épanouissent moins facilement.
Quand ce sont les individus eux-mêmes qui modifient leur environnement, on parle de construction de niche dans les sciences de l’évolution. L’exemple canonique de construction de niche est celui de la construction de barrages chez les castors, qui modèlent ainsi leur habitat en augmentant le niveau de l’eau d’une partie d’une rivière, transformant en quelques sortes la rivière en lac. En retour, ils vivent dans un écosystème composé d’autres animaux et d’espèces végétales qu’on trouve habituellement dans des lacs, qui influencent leurs autres comportements (par exemple de reproduction). De la même façon, les fourmis Myrmelachista schumanni pulvérisent de l’acide formique sur toutes les espèces autres que l’arbre dans lequel elles font leur nid, créant ainsi des zones entières sans aucune biodiversité, appelées Jardins du diable. Elles éloignent de cette façon les herbivores et modifient à l’évidence en retour leurs propres comportements, par exemple de recherche de nourriture.
Chez l’être humain, à côté des spectaculaires constructions de niches tangibles, on observe également de nombreux exemples de construction de niche cognitive, c’est-à-dire de situations dans lesquelles les êtres humains modifient leur environnement cognitif, avec en retour des changements de leurs comportements. La démarche de l’ACT est de construire une niche cognitive spécifique dans laquelle les pensées et les émotions peuvent être considérées avec distance, afin d’influencer en retour les comportements vers une meilleure qualité de vie.
En dehors de la psychothérapie, il existe de nombreux autres exemples de construction de niche cognitive, dont certains ont des effets collectifs particulièrement importants. Le passage à l’heure d’été est une de ces constructions de niche cognitive. Elle est particulièrement intéressante en raison de son ampleur et pour son caractère répétitif. Deux fois par an, nous décidons de reculer ou d’avancer d’une heure par rapport à l’heure du soleil. En un instant, simultanément pour des millions d’entre nous (l’heure d’été s’applique dans un grand nombre de pays des zones tempérées), un repère de synchronisation est transformé. Très rapidement après le changement, des millions d’êtres humains passent à table plus tôt (ou plus tard), se réveillent plus tôt (ou plus tard), se déplacent pour se rendre au travail plus tôt (ou plus tard), bref, modifient leurs comportements alors qu’absolument rien n’a changé dans leur environnement physique. Le changement de leur environnement cognitif a des répercussions notables sur leurs comportements, et rien à part les êtres humains eux-mêmes n’a décidé de ce changement.
La particularité de la construction de niche cognitive est qu’elle est totalement arbitraire, puisqu’elle est basée sur du langage. Cela signifie que les répercussions d’une construction de niche cognitive sur les comportements peuvent être très rapides, quasi-instantanés dans cet exemple, puisqu’ils n’impliquent rien de matériel. De fait, cette capacité permet une très grande flexibilité comportementale et une adaptabilité décuplée.
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