Il y a votre voiture un peu vieille qui vient de tomber en panne. On vous annonce 1000 euros de réparations. Vous pesez le pour et le contre -1000 euros c’est une somme-, mais vous trouvez dommage de l’envoyer à la casse car elle a encore de la valeur (avant de tomber en panne, elle marchait, pas vrai ?!). Vous décidez de la sauver et vous payez les 1000 euros. La semaine suivante, une autre panne. Cette fois ça sent vraiment la fin. Sauf que vous avez déjà pris la décision de la réparer, difficile d’en changer…. Et puis, vous devez être si proche de l’avoir remise en bon état. Aussi, vous n’allez tout de même pas perdre les 1000 euros déjà « investis » ! Votre décision initiale vous enchaîne…
Ce genre de situation a été étudié par la Théorie de l’engagement. Il arrive qu’on confonde ce modèle théorique avec la Thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) dont je parle souvent sur ce blog. Ces deux modèles théoriques sont bien différents pourtant. Le premier s’inscrit dans la psychologie sociale et a commencé à être formulé après la seconde guerre mondiale, notamment pour comprendre les prises de décision. Le second, l’ACT, est un modèle de thérapie développé en psychologie clinique depuis les années 2000. L’ACT est beaucoup plus récente donc, mais elle ne s’est absolument pas basée sur la théorie de l’engagement (elle se fonde sur la théorie des cadres relationnels). Plus encore, l’engagement dont il est question n’est pas souhaitable dans le cas de la théorie de l’engagement, car on perd sa liberté, alors qu’il l’est dans le cas de l’ACT, puisqu’il s’agit de s’engager dans des actions qui font sens pour soi.
Pourtant, à y regarder de plus près, peut-être que les deux modèles sont plus proches que ce qu’on pourrait croire. Notamment, ils posent tous les deux la même question, sous des formes différentes : quand est-il adapté de persévérer, ou à l’inverse, de passer à autre chose ? A partir de quand la persévérance se transforme en entêtement et devient contre-productive ?
Voilà une question épineuse car la persévérance est souvent couronnée de succès, mais elle peut aussi être une source de souffrance. C’est notamment le cas quand il n’existe aucune solution à un problème. Imaginez par exemple que vous ayez perdu vos clés. Vous les cherchez partout, vous ne faîtes plus que cela. Bien entendu, vous aurez plus de chances de les retrouver en les cherchant. Si vous les avez égarées chez vous par exemple, c’est bien en fouillant et en refouillant tous les recoins de la maison que vous aurez le plus de chances de remettre la main dessus. Imaginez cependant que vos clés sont définitivement perdues. Vous les avez jetées par mégarde à la poubelle par exemple et le ramassage a eu lieu il y a plus d’une semaine. Sauf que vous ne vous souvenez pas les avoir jetées. Continuer de les chercher serait alors totalement inutile. Pire, si vous vous consacrez uniquement à les chercher alors qu’elles sont en train de rouiller dans le fond d’une décharge, vous risquez de sacrifier tout le reste –votre emploi, votre vie familiale, vos amis- pour des clés que vous ne retrouverez jamais.
Il est rare qu’on apprenne avec certitude qu’on a définitivement perdu quelque chose et qu’on ne le retrouvera jamais. La plupart du temps, il faut décider quand il est préférable d’arrêter de chercher alors qu’on ne sait pas si ce qu’on cherche est définitivement perdu ou non. De façon plus générale, la question à laquelle nous devons souvent répondre en cas de résultat incertain est de savoir si persévérer sera profitable à terme ou si nos efforts sont inutiles. Dans le premier cas, renoncer trop tôt serait une perte et le manque de persévérance un sérieux handicap ; dans le second cas, c’est persévérer qui représente l’écueil principal, puisqu’il n’y a rien à obtenir.
Quel rapport avec l’ACT ? La flexibilité psychologique, ou sa perte, sont en fait l’incarnation du degré de persévérance vis-à-vis de nos émotions et de nos pensées douloureuses. La flexibilité, c’est cette capacité à s’ajuster, à adapter nos comportements en réponse à nos événements psychologiques en fonction de leurs conséquences. Etre flexible, c’est être capable de persévérer quand c’est nécessaire ou de passer à autre chose quand on ne parvient pas à apaiser cette brûlure ou à faire passer cette tristesse.
La persévérance n’est intrinsèquement ni bonne ni mauvaise. Son intérêt dépend du contexte. Il y a en la matière des signaux qui peuvent nous aider à savoir s’il est utile de persévérer face à nos émotions et nos pensées difficiles : depuis que vous luttez contre elles, avez-vous le sentiment de les maîtriser de mieux en mieux, ou que ce sont elles qui vous maîtrisent de plus en plus ?
Désengagez-vous de la lutte contre vos émotions et vos pensées et engagez-vous vers ce qui compte pour vous.
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Photo by Artem Beliaikin
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