Le terme “penser” fait référence à deux mécanismes.
Il y a d’abord des pensées qui arrivent dans notre tête malgré nous, déclenchées par les stimuli de notre environnement.
D’autres pensées sont des comportements volontaires. Quand je rumine à propos d’une dispute avec une amie par exemple, je reconstruis la scène en pensée afin de trouver des justifications à mes réactions excessives, et ainsi me sentir moins coupable.
Il est parfois difficile de se rendre compte que ces pensées sont volontaires car elles sont automatisées, rapides et très peu coûteuses en énergie. Elles constituent cependant des comportements dans lesquels nous nous engageons, avec des conséquences qui les modifient en retour, comme tout autre comportement volontaire.
Il est quasiment impossible d’empêcher durablement l’arrivée des pensées qui apparaissent automatiquement dans notre tête, sauf à employer des méthodes qui nous privent de tout le reste (en consommant des toxiques ou en dormant toute la journée par exemple).
En revanche, il est possible de ne pas s’engager dans la catégorie de pensées qui sont en fait des comportements volontaires. C’est certainement difficile, car nous n’en avons pas l’habitude, mais c’est possible. On peut choisir de ne pas suivre le fil d’une réflexion, de ne pas essayer de maîtriser une situation par la pensée, de ne pas répondre aux questions qui se posent à nous.
Il y a cette histoire du chat de Schrödinger, devenue un classique geek sur les internets. Il s’agit en fait d’une expérience de pensée. Le physicien Erwin Schrödinger imagine un chat enfermé dans une boite dans laquelle se trouve un flacon rempli d’un gaz mortel. Le flacon peut être brisé par un dispositif actionné par la désintégration d’un atome. La mécanique quantique, que Schrödinger voulait critiquer par cette expérience de pensée, postule que tant que l’observation n’a pas été faite, l’atome peut se trouver dans les deux états –intact ou désintégré. De ce fait, le chat est alors simultanément vivant et mort tant qu’on n’ouvre pas la boite pour l’observer.
Reprenons l’exemple de la dispute. Le souvenir de cette dispute avec votre amie apparaît dans votre tête. Vous êtes tentée d’y repenser en détail pour vérifier si c’est bien elle qui a commencé à vous insulter, si c’est elle qui est à l’origine de la brouille. La question semble s’imposer à vous et vous intime d’y réfléchir. Etes vous à l’origine de la dispute? Avez-vous été trop dure, maladroite, méchante? Le chat dans la boite est-il vivant ou mort? L’enjeu est de diminuer votre sentiment de culpabilité.
Et si vous laissiez ces questions en suspends? Et si vous choisissiez de ne pas y répondre, de ne pas ouvrir la boite? Vous pouvez décider de ne pas vous engager dans une réflexion et rester dans ce no man’s land où rien n’est résolu, dans lequel la question qui s’impose à vous ne recevra pas de réponse.
Entraîner cette compétence à ne pas répondre à toutes les questions qui apparaissent en nous peut s’avérer très utile. C’est notamment salutaire quand on repère que ces réflexions ont déjà été menées plusieurs fois sans grand succès, c’est-à-dire quand elles commencent à prendre la forme de ruminations. Le plus souvent, on les identifie également par leur fonction d’évitement: elles visent à nous soustraire à une expérience émotionnelle que nous n’aimons pas. Dans ces moments là, en n’ouvrant pas la boite, en coupant la chaîne de réflexion, on empêche l’apparition du soulagement temporaire qui entretien le fait de continuer à essayer de se soulager. Bien entendu, on reste alors en présence des émotions qu’on cherchait à faire disparaître. Mais la pensée est alors suspendue, et libre.
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