L’intérêt de s’inscrire dans une pratique clinique basée sur les preuves est d’appliquer une démarche thérapeutique éprouvée, ayant démontré son efficacité. La difficulté est de former aux pratiques dont l’efficacité a été démontrée. En effet, le cadre contrôlé de la recherche fait souvent défaut à la pratique quotidienne, le plus souvent émaillée d’imprévus et d’adaptations à chaque patient. D’où un dilemme : comment diffuser les pratiques qui ont fait la preuve de leur efficacité ? Le plus souvent, cette diffusion se fait au travers de manuels de thérapeute et de protocoles décrivant les étapes à suivre, les mouvements thérapeutiques à effectuer. Mais qui suit vraiment ces protocoles et ces manuels ? Si de nombreux thérapeutes lisent ces manuels, combien appliquent réellement ce qu’ils contiennent ?
C’est la question à laquelle ont essayé de répondre Becker, Smith, & Jensen-Doss (2013). Ils ont interrogé 756 thérapeutes quant à leur utilisation de protocoles de traitement sous la forme de manuels de thérapeutes. Surprise : pour ce qui concerne les thérapeutes se référant aux TCC, seuls 11% déclarent s’appuyer régulièrement sur les manuels dans leur pratique clinique (contre 8% toute orientation théorique confondue). 31% des thérapeutes pratiquant les TCC déclarent ne jamais utiliser de manuels, 58% les utilisent seulement occasionnellement.
Quelles conclusions tirer de cette étude ? Comment expliquer que des thérapeutes s’inscrivant explicitement dans un modèle basé sur les preuves ne se réfèrent pas davantage aux protocoles qui ont été testés dans les règles de l’art ? La raison est peut-être à rechercher dans ce que contiennent ces manuels. Généralement, ils décrivent des mouvements thérapeutiques basés sur la description des symptômes et leur évolution. Mais l’expression des symptômes est propre à chaque patient, même au sein de troubles recevant la même étiquette diagnostique. Aussi, les thérapeutes sont confrontés à des différences importantes entre ce qu’ils lisent et ce qu’ils vivent, ce qui les conduit peut-être à considérer les manuels comme inadaptés à leur réalité clinique, et à les abandonner.
Une voie pour résoudre ce dilemme est certainement de diffuser des démarches thérapeutiques éprouvées, mais basées sur les processus psychologiques impliqués et leurs fonctions. Plus que des recettes contraignantes dont on se départi dès qu’elles s’éloignent de ce que le patient apporte, il s’agit d’évaluer et de diffuser des principes, des processus, en réservant leur application aux thérapeutes eux-mêmes.
C’est ce que propose la thérapie d’acceptation et d’engagement : elle définit des principes, des fonctions, décrit des processus psychologiques, mais ne se présente pas sous la forme de protocoles. Plusieurs méthodes permettent par exemple d’atteindre la flexibilité psychologique. Charge à chaque thérapeute d’appliquer ces principes à sa réalité clinique.
Cela complique à l’évidence la tâche des chercheurs qui veulent diffuser ce type de démarche, tout comme celle des cliniciens qui veulent l’acquérir, car les connaissances sont nécessairement moins cadrées, moins prescriptives. Certains thérapeutes qui découvrent l’ACT ont l’impression d’être un peu noyés et de ne pas savoir comment mettre en place leur thérapie, par où commencer. Mais qu’est-il préférable ? Disposer de connaissances très pointues qui dirigent la prise en charge moment après moment, mais ne pas les utiliser car elles sont trop éloignées de la pratique, ou acquérir des connaissances sur les processus psychologiques, devoir soi-même les décliner différemment à chaque patient, mais pouvoir s’y référer pour chaque patient ?
Source : Becker, E. M., Smith, A. M., & Jensen-Doss, A. (2013). Who’s using treatment manuals? A national survey of practicing therapists. Behaviour research and therapy.