Attention, faux-ami: la psychologie évolutionniste

Depuis quelques temps, vous avez certainement vu passer les publications nombreuses de Steven Hayes -fondateur de l’ACT et de la théorie des cadres relationnels- à propos de la place centrale de la théorie de l’évolution dans la compréhension de la pensée symbolique et pour la promotion des comportements pro-sociaux. J’ai moi-même publié avec Steve plusieurs chapitres sur la place des processus évolutionnistes en psychologique clinique et en thérapie, qui nous amènent à considérer que la psychologie clinique est une science appliquée de l’évolution. Evolution, psychologie, sélection naturelle, ces idées ont déjà été rassemblées auparavant dans un courant appelé « psychologie évolutionniste », qu’il convient de ne pas confondre, car les deux approches sont radicalement différentes. Quelles sont alors les différences entre ces deux approches?

Pendant longtemps, le recours à la théorie de l’évolution en psychologie a consisté à chercher quels avantages pourraient avoir certains comportements ou certaines émotions, en supposant que ces comportements et émotions sont adaptés d’une façon ou d’une autre, ou qu’ils ont été adaptés à des environnements dans lesquels nos ancêtres ont vécu. C’est ce qu’on appelle l’adaptationisme, très critiqué, et c’est ce que propose la psychologie évolutionniste. Pour les troubles psychologiques, la psychologie évolutionniste a cherché quels avantages ils auraient pu avoir autrefois, afin d’expliquer pourquoi ils existent encore aujourd’hui. L’idée est que si les troubles psychologiques qu’on appelle la dépression, le trouble obsessionnel compulsif, la schizophrénie etc., n’ont pas disparu, c’est qu’ils doivent avoir un avantage, ou qu’ils ont dû en avoir un à un moment de l’évolution de notre espèce.

Il y a deux problèmes avec ce genre d’hypothèses. D’abord, en plus d’être difficilement testables, elles sont quasiment inutilisables en psychologie clinique. Impossible en effet de changer l’histoire évolutive de notre espèce, ou de modifier notre génétique.

Ensuite, cette approche a suivi la conception de la théorie de l’évolution dominante jusque-là, qui accorde une place centrale aux gènes et s’applique sur un temps long. Très long. Sur des milliers de générations en fait, le temps que les mutations génétiques soient sélectionnées et se transmettent. Cependant, seuls quelques comportements -les réflexes- sont codés génétiquement. Pour rester adaptés à des environnements qui changent en permanence, nos comportements doivent rester flexibles, ce qui serait impossible s’ils étaient codés « en dur » au niveau génétique. Or, les comportements peuvent varier en quelques minutes. En quelques secondes même. Parfois même plus rapidement. Quand on s’intéresse à l’évolution de structures anatomiques, comme l’œil par exemple, il est logique de raisonner sur un temps long -on voit rarement des yeux se transformer en quelques minutes- et il est logique de s’intéresser à ce qui code cette structure anatomique qui reste quasiment identique de génération en génération. S’intéresser exclusivement aux gènes pour appréhender les comportements ne permet pas de comprendre leur évolution moment après moment.

Depuis une quinzaine d’années, des découvertes importantes ont relativisé l’importance des gènes et ont mis en évidence la place centrale des comportements dans l’évolution des espèces, et particulièrement de notre espèce. En changeant notre environnement notamment au travers de nos comportements, nous changeons la trajectoire de notre évolution. Nous modifions même l’expression de nos gènes. Aussi, de plus en plus de chercheurs considèrent que l’évolution ne se fait pas qu’au travers de la génétique, mais aussi de l’épigénétique, du comportement, et de la culture, c’est-à-dire sur des matériaux et des échelles de temps variés.

A ce titre, puisque les processus évolutionnistes s’appliquent aux comportements à notre échelle de temps individuelle, la psychologie fait intégralement partie des sciences de l’évolution, comme je l’ai expliqué dans cet autre article. Par les découvertes récentes sur les mécanismes du langage et de la cognition, autour de ce qu’on appelle la théorie des cadres relationnels, la psychologie permet de mieux comprendre l’évolution particulière de l’espèce humaine.

Puisque la psychologie est une science de l’évolution, la psychothérapie est une science appliquée de l’évolution. La connaissance de l’action de ces processus à l’échelle du comportement permet aux clinicien.e.s d’analyser les difficultés psychologiques et d’intervenir afin d’aider les patients à trouver une adaptation à leurs émotions, à leurs pensées, à leur environnement, qui leur soit plus profitable.

Les principes évolutionnistes sont observés dans toutes les sciences du vivant, tellement que la théorie de l’évolution est désignée parfois comme le « modèle des modèles ». En psychothérapie, ces principes permettent de définir un cadre général qui structure les différents modèles psychothérapeutiques, vers un modèle intégratif des méthodes thérapeutiques.

Si vous souhaitez en apprendre davantage sur l’utilisation des processus évolutionnistes en psychologie clinique, lisez le descriptif de mon atelier Darwin comme superviseur clinique! – Maîtriser les processus évolutionnistes de la psychothérapie processuelle.

Pour une comparaison avec l’approche de la psychologie évolutionniste, vous pouvez lire mon chapitre sur les approches évolutionnistes de l’anxiété (en français).

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