Si vous consultez de temps à autres des ouvrages ou des articles sur l’ACT, les TCC, ou l’approche comportementale, vous avez peut-être déjà vu passer des références à la théorie de l’évolution. Et peut-être que ces références vous ont surprise. Qu’est-ce que la sélection naturelle vient faire dans ces histoires d’apprentissage et de difficultés psychologiques ? C’est en fait une histoire qui dure depuis pas mal de temps, d’abord sur un plan théorique, et plus récemment avec des applications concrètes dans la pratique clinique, comme je le fais dans mon atelier Darwin comme superviseur clinique! – Maîtriser les processus évolutionnistes de la psychothérapie processuelle.
Un des premiers articles sur cette question a été publié dans les années 80 dans la revue Science et s’intitule Selection by consequences (Skinner, 1981). Il fait le parallèle entre la sélection naturelle et l’apprentissage opérant (encore appelé apprentissage skinnérien, son deuxième prénom). La sélection naturelle, principe proposé par Darwin pour comprendre l’évolution des espèces, est en fait une sélection par les conséquences, comme l’est l’apprentissage opérant : c’est en raison de leur adéquation à leur environnement que les individus parviennent plus ou moins à se reproduire, et transmettent ainsi plus ou moins leurs caractéristiques à la génération suivante. De même, comme l’a mis en évidence la découverte de l’apprentissage opérant, les comportements seront plus ou moins reproduits en fonction de leurs conséquences plus ou moins appréciables pour l’individu.
Cette sélection par les conséquences agit sur des entités différentes (les populations ou les comportements) et à des échelles de temps différentes (sur un grand nombre de générations pour la sélection naturelle, ou à l’échelle de quelques secondes pour l’apprentissage opérant), mais il s’agit toujours du même mécanisme. Aussi, les trois processus de l’évolution –variation, sélection, transmission- s’appliquent tout à fait aux comportements. En effet, les comportements varient : nous ne nous comportons jamais deux fois de la même façon, il y a toujours des changements, même minimes. Les comportements sont sélectionnés : ils produisent des conséquences plus ou moins appréciables pour l’individu. Enfin, en fonction de leurs conséquences, les comportements sont plus ou moins reproduits, en d’autres termes, on recommence, ou on arrête. Voilà le parallèle théorique qui a été proposé depuis cette date.
Sauf que ce parallèle n’a, à l’époque, pas retenu l’attention des chercheurs dans le domaine des sciences dites « dures », qui travaillent sur les processus évolutionnistes. La raison principale est peut-être que pendant longtemps, les recherches dans le domaine de l’évolution ont tout misé sur les gènes, considérés comme l’unique matériel sélectionné dans l’évolution des espèces. Une sélection uniquement génétique, et non comportementale, est d’ailleurs ce qui caractérise la psychologie évolutionniste, très différente de l’approche dont je parle ici, et à laquelle j’ai consacré un article afin de bien les différencier. Mais tout cela est en plein changement, depuis que des chercheurs en sciences de l’évolution ont perçu l’importance des comportements dans l’évolution des espèces, et particulièrement dans l’évolution de l’homme.
L’importance des comportements dans l’évolution des espèces est dorénavant reconnue par les sciences de l’évolution modernes, notamment par la Synthèse étendue de l’évolution. Par exemple, le fait d’être capable de modifier son environnement –ce qu’on appelle la construction de la niche- a des répercussions sur l’évolution de l’espèce. Les castors qui bloquent une rivière avec des troncs d’arbres vivent alors dans un écosystème proche de celui d’un étang, ce qui modifie la flore, donc leur alimentation, et finalement leur évolution. L’être humain est bien sûr un champion de la modification de son environnement, donc de la modification de son évolution… Les découvertes en épigénétique ont également mis en évidence que les gènes ne s’expriment pas de la même façon en fonction du contexte, par exemple de ce que nous mangeons ou de nos relations avec les autres. Tous ces phénomènes amènent dorénavant à considérer la psychologie, en tant qu’étude des comportements, comme une des sciences de l’évolution.
Il n’y a alors qu’un pas, que nous franchissons sans aucun problème, pour considérer que la psychologie clinique est une science de l’évolution appliquée. Ainsi, il est important en tant que cliniciens que nous développions nos connaissances des principes évolutionnistes, car ces derniers déterminent les comportements de nos patients comme les nôtres, et notre adaptation aux contextes dans lesquels nous vivons.